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Le monde rural est celui de tous les dangers, ma noyade avortée en est un exemple. Ma cousine n’échappe pas à ces pièges.
Alors que j’avais cinq ans, elle deux, je réalise inconsciemment un « sauvetage ».
La grande cheminée est allumée, posé sur les braises ardentes, le grill attend les « capouts »*
Ma cousine court en tous sens dans cette grande pièce. Quand on n’a que deux ans, notre démarche est incertaine, elle s’entrave et tombe le visage en avant sur le grill brûlant.
La rapidité de mon intervention pour la relever l’épargne du pire, la défiguration par douloureuses brûlures et stigmates qu’elles peuvent laisser.
Comme propulsé par un ressort, je la relève, la prend dans mes bras, son beau visage inondé de larmes.
Sa mère et ma maman accourent du fond de la pièce.
Cette adorable enfant, tend ses petits bras vers ma maman, ignore la sienne.
A cet instant, personne n’attache d’importance à ce comportement, des soins rapides allègent sa souffrance.
La brûlure sous son menton, laissera cependant une cicatrice. Les moyens du bord viennent à calmer la douleur et cesser les larmes.
Un corps gras naturel, la crème de lait de vache, délicatement appliquée donne l’effet escompté.
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Mon émotion s’évanouit et mon petit cœur reprend son rythme normal.
Toujours blottie dans les bras de ma maman, ce petit ange dort paisiblement.
A cet instant, nous ignorons que sa mission programmée serait de courte durée, comme celle de son père et de son amie d’enfance, emportée dans sa trentaine par cette maladie du siècle.
Faut-il que cet accident arrive pour démontrer qu’une filiation se reporte au deuxième degré ?
Un jour, la justice éclate dit-on.
Cette maudite guerre n’en finit pas, le monde évolue, perturbation dans nos traditions, l’esprit du chacun pour soi s’installe. L’être humain a soif d’indépendance, les familles éclatent, ne supportent plus la domination.
Ainsi, ma tante et son époux veulent une vie de couple hors de la maison parentale. Se faisant, je perds subitement la présence de ma petite protégée, c’est le déchirement. Compensation m’est partiellement donnée par ma scolarisation qui m’offre des camarades de classe.
Je suis surpris de constater que mon aptitude au protectionnisme ne se limite pas à ma famille. En classe préparatoire ainsi définie ; les filles et les garçons cohabitent. Parfois, dans la cour de récréation, des humiliations sont portées vers les filles. Quand une fille est importunée, ma réaction est immédiate. Cela m’irrite, mes petits poings le garçon qui manque de respect.
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Rien n’échappe à la surveillance de mon institutrice, les punitions pleuvent.
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Qu’importe, l’injustice m’est insupportable.
Cela me vaut parfois des représailles hors de l’enceinte de l’école, qu’importe ma réputation de justicier prévaut. Le nombre de mes assaillants ne m’impressionne pas, mes petits poings laissent des traces difficiles à justifier.
Les moqueries qui me sont adressées en cour de récréation me laissent indifférent.
En tout acte de la vie, la persévérance apporte généralement de bons résultats.
Cette situation s’estompe rapidement et, nombreux sont ceux qui approuvent mon comportement.
Vous savez tous, combien cette scolarité est importante, mais souvent insupportable. Quelques anecdotes vont le confirmer.
Je suis avide du développement des connaissances, l’école est l’endroit idéal.
Mais, dans cette scolarisation, je perds un bien précieux, la liberté d’agir.
Ceci, personne ne me contredira : liberté chérie entendons-nous dire.
Dans le monde urbain, la journée scolaire terminée, l’enfant rentre à son domicile, aucune contrainte domestique n’existe. Dans le milieu rural, notre programme est bien chargé.
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La surveillance des animaux en pâture est une obligation courante. Un échelon supplémentaire gravi dans notre formation.
La surveillance des animaux n’est pas une mince affaire. Malgré l’assistance de notre chien de berger, fidèle compagnon d’infortune, ce « patou »* ramène les éléments intrépides dans les limites autorisées. Ces éléments indisciplinés s’aventurent facilement sur des parcelles cultivées qu’il faut protéger de la dévastation.
Durant nos deux années de cours préparatoires, les devoirs du soir ne sont pas nombreux, mais les leçons sont à apprendre. Plus tard, il faudra également s’acquitter des devoirs.
Malgré l’inconfort matériel, nos genoux en guise de table, un porte- plume et un encrier à ne pas renverser, nous rédigeons nos devoirs. Pas question de remettre une feuille tâchée ou une mauvaise écriture, l’intransigeance de notre institutrice nous oriente vers la perfection. C’est peut-être cette exigence qui fait de nous une génération appliquée.
A la maison, il ne faut pas compter sur nos parents pour infléchir ces règles.
Intellectuellement, mon oncle était le seul capable de me conseiller.
Je sens en lui la nostalgie renaître.
Durant ces deux années préparatoires, mon enseignante et son époux habitent sur mon trajet maison école. Des enseignants dont la renommée n’est plus à faire.
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Mon institutrice a un petit défaut, curieuse comme un pot de chambre.
La coutume veut que chaque famille d’enfant scolarisé, apporte un présent « avantage en nature ».
Quand on tue un cochon « pèle porc »* pour notre consommation personnelle, un des meilleurs morceaux leur est réservé. Comme de coutume, je m’acquitte de cette tradition.
Un jour, à mon retour en classe après le repas de midi, elle nous demande de quoi est composé ce repas. Je rappelle, que jusqu’à la scolarisation, je ne parlais que le patois. Il est donc normal que dans mes conversations, des termes patois se mêlent au français.
J’énonce donc mon menu. J’ai mangé des « monjettes et ques de porc »*.
Sans attendre, pensant que nous avions tué plusieurs cochons et offert un seul présent, elle me pose la question : combien de cochons avez-vous tués cette année ?
Il est vrai, qu’à ce jour, je n’ai jamais vu un cochon avec plusieurs queues.
Toujours, par esprit d’économie, pour donner un peu de goût à nos plats, la couenne qui entoure une tranche de jambon est minutieusement récupérée pour être ajoutée à la cuisson de certains plats. Ce qui est le cas pour celui consommé ce midi. Ces couennes sont désignées comme queues de cochon.
Comment expliquer cela à mon institutrice ?
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Sa curiosité est tenace, ce qui la conduit à poser la question à ma tante qui fréquentait ses filles.
Encore une phase de mon apprentissage qui met en évidence l’importance des mots.
Cette scolarité que j’apprécie et regrette à la fois me passionne. Le savoir de mon oncle et son aptitude à présenter simplement les sujets, mobilise mon attention. Il a de l’humour, contraste important avec son sérieux. Très bon pédagogue, il trouve les mots justes qui résonnent au creux de mes oreilles et s’incrustent dans ma mémoire. Il a surtout voyagé par les livres de géographie et d’histoire.
Je veux comme lui, apprendre les contours de notre chère patrie et les périodes de son histoire.
Mais comment emmagasiner dans ma petite tête le nom des villes préfectures, sous-préfectures et chefs-lieux de cantons ?
Il excelle dans les autres matières, notamment en calcul mental.
Combien de valeurs intellectuelles comme la sienne sont sacrifiées au profit des exigences matérielles de survie ?
Pour lui, la meilleure éducation s’appuie sur les recherches personnelles. Quand je souhaite réaliser une nouvelle opération, il ne s’y oppose pas, mais, ne l’encourage pas. Je dois personnellement trouver la solution. La réussite me valorise et surtout encourage ma persévérance.
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Seulement, si je mets ma vie en danger ou celle d’autrui, il attire mon attention et surveille les rectifications que j’apporte.
Je reconnais maintenant que cette méthode contribue à la notion du travail bien fait.
Encore une anecdote marquante de la scolarité primaire.
Un jour, après le repas de midi, mon oncle, se rend avec le tombereau tiré par deux puissants bœufs sur une parcelle de terrain située à l’opposé de la bourgade. Pour ce faire, il emprunte partiellement le même trajet que celui de l’école. Il me propose donc de me conduire avec le tombereau. Chemin faisant, une idée germine dans ma tête, faire l’école buissonnière. Comment organiser cette escapade et rejoindre mon oncle au champ ?
Dans notre monde rural, l’observation est un sens précieux.
A proximité de l’école, je repère un petit coin cachette occupé par un rosier, accessible en deux enjambées. Je mets donc mon projet à exécution, saute du tombereau et me glisse dans ma cachette.
Mon oncle ne s’en laisse pas compter, la recherche ne s’est pas éternisée.
Moi l’oiseau, suis pris dans mon piège et ramené dans l’enceinte de l’école.
Je ne me souviens pas, mais ce jour-là, la journée scolaire est certainement perturbée par cette soif de liberté.
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Mon oncle comprenait la force de mon égarement. Dans sa tête il revit peut-être qu’à mon âge, ce désir était présent.
L’incident est clos, le reste de la famille n’est pas tenu informé, jugeant peut-être que c’était une affaire d’hommes, une banalité.
L’institutrice est informée pour avoir assisté à la scène. Elle redouble certainement sa vigilance. Peu de chances de s’évader, la cour est ceinturée de hauts murs, en partie surmontés par une imposante grille, un lourd portail grinçant donne l’alarme. Sécurité totale assurée. Toutes les classes du village sont là, à l’exception de celle des filles.
Ce bâtiment imposant sert également de mairie, un préau au niveau des classes abrite nos récréations par mauvais temps. Il a également un rôle festif, reçoit les musiciens pour certaines manifestations comme le carnaval.
Parfois, le jour de marché à BAGNERES de BIGORRE, un citoyen du hameau s’entretien avec nous à travers la grille, BIZENSOU surnommé. Il nous raconte des histoires drôles donc celle-ci.
Je suis venu à l’école durant sept jours. J’ai manqué six jours. Le septième j’ai fait les lettres plus grandes que l’instituteur, il m’a mis à la porte.
Un rêve, mais peu de chances de réussir aujourd’hui.
Les années passent, ma scolarité continue.
Je rentre maintenant dans la « grande » école qui nous conduit au concours d’entrée en sixième des collèges, ou au certificat d’études primaires.
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Notre instituteur, un homme de corpulence imposante a la charge des classes du cours élémentaire à celles de fin d’études.
L’instituteur est l’un des personnages qui incitent au respect parfait. Dans cette salle grandiose, règne un silence de cimetière.
Le mobilier est rudimentaire, des bureaux à deux places reliées par un banc.
Un encrier complète cet équipement. Ce mobilier en bois ciré est entretenu par nos soins en fin d’année scolaire, avec pour racloir un morceau de verre. Toutes les tâches d’encre doivent disparaître.
Un tableau noir réversible, permet à un élève de résoudre en cachette un problème de calcul ou une dictée. Idée intelligente qui facilite une correction commune.
Si à l’école primaire, garçons et filles cohabitent, cette école ne reçoit que des garçons. La seule partie commune, est la cour de récréation.
Cette dernière ne permet pas les jeux de ballon, seulement les jeux de billes ou d’osselets nous passionnent.
La concentration pour nos devoirs n’est pas facile, les cours oraux, particuliers à chaque section sont un peu gênants mais acceptables. Ils sont même très profitables, cela nous permet de réviser les cours précédents.
J’ai de très bons souvenirs de cet homme, sa pédagogie est à l’image de sa tenue vestimentaire, sobre mais soignée, mais avec également sa relation avec les élèves. Pourtant, certains
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de mes camarades l’exaspèrent, il connait les problèmes familiaux que certains endurent, et, adapte le comportement à chacun des cas.
Son profond désir, nous conduire à la réussite. Il n’hésite pas à donner des cours supplémentaires gratuits en préparation des concours, pourtant, matin et soir, il parcourt à bicyclette les cinq kilomètres qui le séparent de sa résidence.
La majorité d’entre nous n’a pas les moyens financiers de payer notre demi-pension. Il nous prépare donc à subir les épreuves du concours des bourses nationales. Très nombreux de mes camarades cessent leurs études après le certificat d’études.
Avec mon camarade Jacques, nous sommes candidats à ce concours. C’est pour nous un devoir de le réussir.
Les épreuves se déroulent à TARBES, préfecture de notre département. Nous sommes devant l’imposante bâtisse d’un collège, dans cette grande ville que je foule pour la première fois. Nous sommes noyés dans ce groupe innombrable venu de tout le département. L’angoisse grandit, mais le désir de réussite décuple.
Je souffre d’un grave problème de timidité qui met à mal mes modestes capacités, la peur de ne pas réussir, donc de décevoir ceux qui me font confiance.
Les résultats tardent à venir, ce qui nous angoisse davantage.
Enfin la délivrance positive nous avons partiellement décroché notre « trophée ».
Bayard.
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