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5 octobre 2021 2 05 /10 /octobre /2021 18:22

Cette longue et passionnante « pièce de théâtre » déroule ses actes avec une minutieuse précision.

Je suis dans ma quatrième année, je ne connais pas encore un seul mot de français, je ne fréquente pas l’école, obligatoire seulement à compter de la sixième année. Cette scolarité programmée jusqu’en 1954 pour un circuit court, sanctionnée par ce fameux CEP.

Mais, pour l’heure, dans ce monde rural enfantin, dans cet acte qui s’annonce, le plus beau décor de la scène m’est donné par la nature et ses hôtes.

Enfants de tous pays, de toutes nations, de tous milieux sociaux, nous ne savons pas apprécier cette faveur que nous offre cet environnement.

Pour moi, c’est un bien-être sans pareil, certains parlent de bonheur.

Je cite ici ce passage de Monsieur de LA FONTAINE dans la poésie Le loup et le Chien :

Vous ne courrez pas où vous voulez ? Interroge le loup.

Pas toujours, mais qu’importe ?  Répond le chien.

Il importe si bien que de tous vos repas, je ne veux en aucune sorte. Rétorque le loup.

Les jours et les saisons défilent à cadence accélérée.

Mes deux premières années, je ne profite pas pleinement de la rude saison hivernale. Je suis confiné dans cette grande pièce, près de la cheminée, ne peut pas m’imprégner de la beauté de cette nature de blanc vêtue.

 

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Dans cette cheminée, se consume une grosse bûche qui cuit le traditionnel potage quotidien.

Pour l’heure, mon repas se limite au lait maternel ou à celui de nos vaches.

Si pour moi, cette saison me paraît interminable, pour autant, elle ne réveille pas mon anxiété. Ce n’est pas le cas pour mes parents, gestionnaires du stock de fourrage, engrangé l’été précédent. Malgré l’esprit de prévoyance qui les anime, consistant à majorer d’un quart la quantité nécessaire, ils savent fort bien les stocks s’amenuisent sans espoir de les renouveler.

Tous ces éléments sont dans mon manuel d’éducation. Ils sont d’une telle logique qu’ils sont devenus infaillibles.

Pour ces humbles parents, prévoyance et économie sont les valeurs qui procurent l’indépendance.

Peut-on réellement vivre dans une totale indépendance ?

Parce qu’il ne répond pas à la logique, l’isolement me semble impossible pour une vie équilibrée. Parfois, la nature nous fournit des exemples.

Un arbre isolé en plein champ souvent de forte taille voit sa vie écourtée, il supporte seul les tempêtes, sans coupe-vent, ses racines sont mises à dure épreuve, la sécheresse fragilise sa constitution, des branches mal alimentées meurent, se dessèchent et finissent par tomber. L’absence d’assistance par d’autres arbres se fait cruellement ressentir et finit par mourir.

 

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Que serait la nature sans forêt, un désert inhospitalier, que serait l’humanité si toutes les femmes et les hommes vivaient isolés ? Procréation impossible donc extinction de la race humaine.

Cahin-Caha, j’avance modestement et prudemment dans cette inévitable formation, un enrichissement physique et intellectuel qui m’aident dans l’accomplissement de ma mission.

Dans ce monde que je crois noyé dans la monotonie, ces longues soirées d’hiver sont partagées avec les voisins qui nous rendent visite.

Les hommes jouent à la belote, les femmes aux jeux de société, mais très souvent tricotent vêtements et chaussettes.

Quant à moi, ne pouvant dormir dans ce vacarme, je vais sur les genoux des femmes et finit par trouver le sommeil.

Une forte odeur de lampes à pétrole ou d’acétylène circule dans la pièce.

Le tabac est une denrée difficile à trouver en cette période de conflit, les hommes ne peuvent plus rouler fréquemment les cigarettes, ce qui est bienfaisant pour la santé de tous.

Ces soirées ne sont pas que festives, l’esprit d’entraide perdure depuis la nuit des temps.

En période automnale, la récolte du maïs est strictement manuelle, se pratique en fonction des conditions climatiques, le mois d’octobre est généralement retenu.

 

 

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C’est aussi la période de maturité des châtaignes, si c’est le hasard, il joue bien son rôle.

Dans cette grande pièce, dégagée de la table, les épis sont jetés par la fenêtre.

Les chaises disposées en arc de cercle ceinturent cet amoncellement. Les voisins prennent place pour prêter main forte à ce dépouillement.

Pour nous les enfants, c’est une nouvelle phase d’apprentissage, notre rendement est insignifiant. Pour nous, c’est surtout l’occasion de se distraire en se roulant dans cet amoncellement de feuilles et de « moustaches ». L’extrémité des épis se termine par des pilosités colorées de blond et de brun. Le déguisement consiste à déposer cette touffe entre le nez et la bouche, de le maintenir par un plissement de la lèvre supérieure. Vieillir avant l’âge, pourquoi ce désir ?

Mais, pour l’heure, moi l’enfant de la maison, j’ai la responsabilité de la cuisson des châtaignes récoltées sous des arbres parfois centenaires. Cette cueillette met à rude épreuve nos petites mains fragiles. Pour assouvir les petits tiraillements de la faim, ces fruits s’invitent au repas frugal du soir.

Le grilloir est pendu à la »crémaillère », solidement fixée au mur de l’âtre de la grande cheminée. Ah, si cette

 

 

 

 

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dernière pouvait nous conter le nombre de mets odorants qu’elle a mijotés !

Dans ce grilloir, deux à quatre kilogrammes de fruits sont prêts pour une séance de bronzage. Carbonisée, la châtaigne est difficilement consommable.

Mes deux petites mains, placées sur la poignée de manœuvre, ont des difficultés à mouvoir le grilloir.

J’ai bien retenu mes leçons : toute besogne mérite notre attention et notre savoir-faire pour obtenir la perfection.

Une rotation trop lente provoque une surchauffe et les fruits explosent bruyamment. La perte du produit est proscrite par raison d’économies.

Ces petites explosions sont inévitables, proviennent de fruits gorgés d’eau.

Les « abeilles » dépouilleuses, dans un bourdonnement à peine perceptible, étouffé par le bruissement des feuilles arrachées aux épis, continuent leur ouvrage. Cela n’empêche pas les échanges de recettes ou de points de tricots.

Dans ce monde de travailleurs acharnés, les hommes ont peu de temps libre pour vaquer à de possibles distractions.                                    

La pêche et la chasse sont rarement évoquées.

Ils parlent de leurs animaux, de leurs récoltes et surtout de la rotation des cultures. Dans ce domaine, mon oncle excelle.

Il a cette générosité qui grandit l’être humain.

 

 

 

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Souvent il me dit : à quoi bon refuser un service qui peut sauver une situation alors qu’il n’améliorera pas la mienne ?

Pour l’heure, le dépouillement est terminé, les châtaignes sont cuites et déposées dans un grand panier d’osier, recouvertes d’une couverture conservatrice de la chaleur.

Quant à moi, sagement assis dans un coin, j’attends avec impatience que la dégustation commence, mais surtout ma récompense.

Ce ne sera point un sou percé, ni une image, mais, simplement un compliment la qualité de la cuisson.

Qui peut donc imaginer les bienfaits de cette soirée ?

Les épis dépouillés sont stockés dans le grenier avec les autres céréales

Ils sont les garants d’une bonne alimentation pour les animaux de la ferme, mais également pour nous les humains. Pour une meilleure conservation nutritive, ils seront égrenés à la demande.

Qu’il s’agisse d’animaux ou d’humains, notre alimentation est logiquement régulée par les saisons et principalement par les températures. Cela, nos parents le savait déjà à cette époque, pas besoin de documentaires.

La quantité de calories nécessaires est gérée par notre corps et non par toutes ces affirmations contradictoires.

C’est ainsi qu’en période hivernale par grands froids, le maïs est pour l’être humain une denrée principale.

 

 

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Les Pyrénées, est une région à températures négatives fréquentes, les corps gras et les légumes secs sont souvent au rendez-vous sur nos tables.

La mouture du maïs fournit la farine, qui, avec le lait complet, un peu d’eau et de sel entre dans la composition du « pastet* ». Cette pâte blanche, cuite dans un chaudron en cuivre minutieusement entretenu, pendu comme le grilloir dans l’âtre de la cheminée. La pâte est versée à la louche dans les assiettes creuses pour une consommation immédiate ou différée, nature ou accompagnée de lait

fraîchement recueilli du pis des vaches. Il se consomme également froid, le lendemain au petit déjeuner.

Ma préférence va pour une consommation après réchauffement dans une poêle, saupoudré de sucre. Maman prépare ce plat avec amour et délicatesse, son aspect doré émerveille mes yeux.

Ainsi va le temps qui passe, les souvenirs s’entassent, l’apprentissage prend place.

Comme la moissonneuse dans le champ, dans ma tête je récolte mes souvenirs.

Mon corps et mon esprit, rapidement progressent, mon ressenti prend une nouvelle dimension.

C’est ainsi pour cette humiliation faite à ma maman. Elle m’apparait maintenant comme une terrible injustice, amplification faite par la venue de ma petite cousine.

L’Injustice, un état qui obsède mon univers intérieur, flagelle mon cœur trop sensible.

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Cette petite cousine, comme maman, féminines, donc faibles et fragiles ont besoin de protection.

Depuis la nuit des temps, l’homme par sa force physique doit être leur protecteur, alors qu’il est considéré comme un dominateur intransigeant.

Cette aptitude protectrice, est-elle une transmission génétique ou une culture instillée par mon vécu ?

Cette adorable petite cousine, nous apporte une nouvelle conception de la vie en communauté. Cette force invisible qui éloigne ou rapproche les êtres humains se fait puissamment ressentir.

Maman, ce mal aimé reçoit de plein fouet, les attentions de cette petite créature. En un premier temps, des regards persistants, puis des sourires et des gazouillis, décrispent les traits du visage de maman.

Une amorce de cette « revanche » qu’elle souhaitait. Plus tard, pour ma plus grande joie, cette transmission d’attentions se confirma.

Elles partagèrent cette affection avec ferveur, ce qui interpela ceux qui répudiait ma maman.

Quant à moi, le rapprochement devient fusionnel, tant je me devais d’être cet élément protecteur, caché dans nos univers personnels.

Je veille sur elle et partage cette insouciance enfantine.

Bayard. 

http://33-laubesc.over-blog.com 

 

 

 

 

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