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La beauté de leur plumage, leur chant mélodieux en sont la principale raison de mon attachement à ce petit monde. Certains sont capturés pour leur chant.
Quel critère permet de les désigner comme étant nuisibles ou utiles ?
Le merle qui mange les cerises de nos vergers, a, au moins une bonne raison de le faire. Nos forêts ont perdu de nombreux hectares par l’exploitation abusive. Les merisiers qui leur donnaient la nourriture ont été abattus pour fabriquer nos meubles, d’autres pour devenir des porte-greffes afin de produire nos cerises consommables. L’être humain, n’est-il pas responsable du comportement de cet oiseau ?
Comment pourrait-il faire la différence entre un merisier et notre cerisier, alors que de nombreux humains sont incapables de le faire ?
Quand la logique n’est pas respectée, tout s’écroule autour de nous.
Tous les êtres qui vivent sur cette terre recherchent tous les moyens pour subsister. Ce monde rural est un véritable grenier dont on ne sait pas tirer raisonnablement profit.
Il m’arrive souvent de pester à l’encontre des insectes qui ont le savoir-faire pour gâcher notre quiétude. Pourtant, après une analyse de leurs méfaits, on trouve, au moins, un élément positif. Durant la période de la fenaison et de la moisson, j’appréhende la présence des guêpes, des frelons et des taons. Ce ne sont pas de bons infirmiers, leurs piqûres
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sont douloureuses et provoquent des boursouflures disgracieuses. Je suis sensible aux premières, ensuite, mon corps s’habitue parce que je suis immunisé. Voilà, l’élément positif qu’il faut retenir.
Tous ces petits êtres ont des comportements similaires aux miens, ils n’aiment pas être dérangés, ils nous le font savoir brutalement. Quoi de plus logique.
Il m’arrive de rêver que je peux rester un enfant, mais un enfant libre respectueux de mes semblables et de tout ce qui m’entoure. Je n’en suis pas l’unique propriétaire et je me dois de le partager équitablement.
Cela ne dure qu’un court instant, car j’ai également hâte d’embrasser la vie à venir. Les rêves sont éphémères, perchés sur les nuages, la réalité nous ramène sur notre planète.
La saison estivale a son charme, mais également ses contraintes, les travaux sont pénibles, et mes petits membres énergiques, vont parfois jusqu’à l’épuisement.
J’apprécie ces poses relaxantes, ces quelques minutes de sommeil, allongé à l’ombre dans cette prairie qui sent bon la fenaison. Parfois, je plonge mes pieds dans la rivière qui murmure en se faufilant entre les pierres érodées.
Combien de kilomètres ont elles parcouru avant d’arriver là ?
Le prochain orage gonflera son cours, le courant déplacera ces repères.
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Dans cette onde transparente, vit un autre monde aussi captivant que celui sur terre ferme.
Mon oncle, respectueux des lois et des règlements, ne pratique pas le braconnage. Pourtant, je sais comment, avec ses mains, on capture une truite cachée sous une pierre. Pour jauger mon savoir-faire, je m’exerce à cette pratique, sachant que si je capture une belle truite sauvage, je la remets à l’eau.
Dans les années 1950, on n’alimente pas les rivières avec des poissons d’élevage. Les truites capturées par les pêcheurs, ont des couleurs vives très prononcées. Les observations minutieuses, me permettent de connaître leur provenance. La couleur varie d’une rivière à l’autre, les sédiments qui composent les lits, déterminent la couleur de leur corps. Il est noir pour des sédiments d’ardoise et jaunâtre pour des roches plus tendres et calcaires.
Certains pêcheurs sont habiles, les prises fructueuses, la consommation est familiale, mais, certains fournissent la restauration.
En période de frai, en un lieu calme et sablonneux, je vois ces truites, moins farouches à cette époque, déposer leurs œufs. Un alevinage naturel est en cours.
Le monde rural vit au rythme des quatre saisons. Chacun d’entre nous a ses préférences.
Je viens d’évoquer l’été mais l’automne est particulièrement captivant. Les sens de l’enfant que je suis, sont en éveil
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constant. Cette attitude me poursuit et me poursuivra ma vie durant. Cela, je le sais à présent au crépuscule de ma vie.
L’automne est certainement ma saison préférée. Elle inonde ma petite tête d’images colorées, de fruits mûrs gorgés de sucre et d’arômes, d’oiseaux migrateurs venus d’autres pays ou continents, de rencontres inattendues avec ces nouvelles générations nées au printemps. Cette nature, parfaitement imaginée puis créée me démontre qu’elle est mieux conçue que la mienne.
Cet arbre qui, les gelées terminées commence une nouvelle vie annuelle, tout comme les fleurs et les bourgeons préparent les étapes futures. De ma personne, il n’est rien de cela.
Je vois en eux cette petite cousine qui s’épanouit de jour en jour.
L’être humain naît avec ses cheveux qu’i gardera sa vie durant, la calvitie précoce le prive de ses cheveux.
C’est là que la nature nous surpasse, l’arbre retrouve ses feuilles, l’être humain reste chauve.
Une compensation cependant, l’être humain sans ses cheveux continue sa vie, l’arbre sans feuilles meurt. L’arbre paré de feuilles multicolores est admiré, l’être humain grisonnant est délaissé.
Du jaune d’or au rouge pourpre, nos forêts tissent la toile du peintre. Dans quelques temps, cette fresque tombera à terre. Avec un bruissement à peine perceptible, nos pieds fouleront ce tapis.
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Les champignons font leur apparition, ils se mêlent comme les châtaignes à cette nouvelle vie de la nature.
Notre palais découvre la saveur des fruits parfumés d’automne, parés de couleurs qui attisent ce désir de consommation.
Dans ce domaine également, j’apprends à connaître, une bonne maturité par un simple examen visuel. Mon oncle s’oppose à tester cette dernière par une pression du doigt, celle-ci entraine la perte du fruit, car cet hématome s’aggrave très rapidement.
Comment peut-on apprendre cela sur la place du marché ?
Quand j’ai la chance et le courage d’affronter les épines des ronces, j’ai le plaisir de déguster ces succulents fruits qui tâchent doigts, lèvres et vêtements.
Je sens déjà l’excitation de mes papilles dégustant la remarquable confiture qu’elles procurent.
Si les fraises des bois du mois de juin ont interpelé mes sens, les myrtilles qui tapissent les sous-bois font appel à ma patience. La taille de ces fruits ralentit la cueillette, mais son goût particulier me motive. Les châtaignes déjà évoquées précédemment marque la fin des vacances estivales, la rentrée scolaire est là, finie la liberté vagabonde.
Comment ne pas être imprégné par tous ces instants gratuits ?
Cette rentrée, je ne la redoute pas, retrouver mes camarades de classe et notre instituteur ma paraissent indispensables. Ma boulimie du savoir se réveille encore.
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Je ne suis pas attiré spécialement par la lecture, peut-être parce que les livres n’encombrent pas les étagères à la maison, peut-être également, parce que je ne peux avoir mes yeux plongés dans un livre et admirer mon environnement. Je le regrette plus tard. Dans cette école, sensiblement, nous avons tous le même niveau social, rares sont les exceptions. Ces dernières s’estompent par le port obligatoire d’un tablier gris. Toute l’année, je porte des culottes courtes, mes pieds sont chaussés de sabots à semelles de bois. Des bas, presque inusables, en pure laine, tricotés par ma maman, montent jusqu’aux genoux.
Retrouver tous ces camarades me replonge dans une vie de société élargie. Une solidarité certaine existe entre nous, l’entre aide, valeur essentielle de cette époque fait figure de proue. Certains n’ont pas le sourire aux lèvres et appréhendent les réprimandes mesurées de notre instituteur. Malgré la liberté réduite imposée, une semaine suffit pour nous remettre dans le bain. Nous avons tôt fait d’apprendre les dates des futures vacances, mais pour l’heure, augmenter nos connaissances de base est la raison principale. Le redoublement n’existe pas officiellement, le changement de classe se fait sommairement par un déplacement dans les rangées d'une unique pièce.
Notre instituteur toujours soucieux d’une réussite collective, attribue nos nouvelles places. C’est ainsi qu’un élève appliqué a pour voisin un élève en difficultés. Cette mixité est bénéfique à chacun.
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Dans la cour de récréation, rien n’a changé, les mêmes groupes se reforment pour pratiquer les mêmes activités. Rares sont ceux qui ont passé leurs vacances dans une autre région, car nous sommes une main d’œuvre indispensable aux travaux de la ferme.
Les premiers jours de la reprise perturbent d’autres acteurs, notamment mon fidèle compagnon, ce chien qui partage avec moi la garde des animaux domestiques. Durant ces vacances, a-t-il appris à mieux travailler ? Trop modeste pour me le dire, mais une forte complicité nous rapproche à chaque retrouvaille.
Je vis mon enfance au rythme des saisons, « une année bonne et l’autre non » paroles de la belle chanson de Jean FERRAT.
Nous sommes au mois d’octobre, les fils des lignes électriques ressemblent à un chapelet, les hirondelles s’y rassemblent pour un long et terrible voyage. Elles virevoltent en gazouillant, s’expriment ainsi pour communiquer les directives de ce périple. Celles qui sont nées ce printemps dans ces nids magnifiquement maçonnés ne connaissent pas les dangers qui les guettent. Dans toute odyssée, des drames se produisent, certaines ne reviendront jamais sur leur terre d’enfance.
Je le sais à présent, l’homme en est le principal responsable. Le monde effréné s’accélère dangereusement, mes yeux d’enfants vont de surprise en surprise.
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Ces migrations massives d’humains en vacances, fruit des congés payés, sont semblables à celles des oiseaux. Certains ne reviendront pas chez eux, décimés par les accidents en tout genre. Aujourd’hui, je me pose la question de savoir, si cela est une grande avancée sociale ?
Ces migrations de vacanciers ne portent elle pas préjudice à ces jours qui devraient donner un peu de repos corporel ?
Cette succession de phases répétitives de mon enfance me dirigent vers ma quatorzième année et mon adolescence.
D’autres aspirations nouvelles voient le jour. Tout en assumant mes activités de la ferme, j’aspire à un changement du périscolaire. Mon tempérament d’intrépide me dirige vers le sport collectif ou individuel.
Mes promenades cyclistes dominicales ne sont pas suffisantes, mon entrée au collège me fait connaitre le foot, le rugby et l’athlétisme.
Les deux professeurs d’éducation physique m’encouragent à pratiquer l’une d’entre elles. L’un joue à l’équipe de rugby de la ville, l’autre au foot dans une commune voisine. Mon tempérament aurait dû me guider vers le plus viril, mais cela ne correspond pas aux relations que je veux entretenir avec mes semblables.
Le foot m’attire, d’autant plus qu’une équipe vient de naître dans mon village. Je vous parle d’une époque où le sport est une activité non lucrative dans nos communes.
Je deviens le benjamin de l’équipe, pourtant mes prestations sont bien modestes. Les dirigeants et mes camarades de
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l’équipe font de leur mieux pour utiliser ma pugnacité de l’adolescent qui s’exprime. C’est un bonheur pour moi de savoir que la vie en société est indispensable et vitale. Mes erreurs ne freinent pas ma détermination, mais, au contraire fertilisent mon audace et le désir de réussir.
Vivre honnêtement sa vie est, me semble-t-il une caractéristique de tout être humain, sous réserve que cette attitude soit profitable à tous.
Plaisir des matches gagnés, déceptions des matchs perdus sont les sédiments de l’esprit d’équipe. Je pense que cette disposition est innée.
Ce sport m’ouvre la porte d’une liberté individuelle que mon oncle m’accorde. Je dois rester raisonnable pour ne pas le décevoir. J’assiste aux réunions préparatoires des matchs et, surtout aux conversations de mes aînés qui dévoilent d’autres sujets que je ne soupçonne pas encore.
Cette émulation propre à chaque individu, est plus ou moins précoce en fonction de la fougue de notre tempérament.
En période hivernale, en raison de moins d’activités dans les fermes, nos retours de déplacements s’étirent dans la soirée. Il est fréquent, que nos adversaires sur le terrain se joignent à nous pour partager la convivialité.
Je découvre que dans une équipe, il y a des joueurs d’exception que j’admire pour leurs prouesses. Mes yeux de débutant en sont réjouis.
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Ils sont venus là pour des raisons sociales. Ils ont joué au sein d’équipes de professionnels. Ce qui me paît en eux, c’est cette humilité à se mêler aux modestes licenciés que nous sommes. Ils reconnaissent nos handicaps, mais ils n’étalent pas leur supériorité sur la voie publique.
C’est certainement cela qui me paît en eux, parce que ça correspond à l’éducation que j’ai reçue. Il y a toujours, quelque chose ou quelqu’un qui m’est supérieur, je ne veux pas l’oublier.
Je ne mesure pas encore le volume de l’apprentissage à venir, parce que mon corps et mon esprit n’ont pas la maturité nécessaire. Il y a encore de bons et mauvais moments à appréhender, des pièges qui me blesseront ma vie durant.
Les circonstances font que chacun d’entre nous peut tomber par le désir du démon caché au fond de mon être.
Je ne sais, pour quelle vraie raison, notre planète est partagée par des êtres féminins et masculins. Je ne sais pas également, pourquoi une attraction physique nous rapproche en vue d’un accouplement, un arrimage en quelque sorte.
Je deviens donc une victime de ce piège sentimental…
Est-il vraiment sentimental ou induit par des forces obscures de la nature animale et humaine ?
Les vacances estivales que des filles, sensiblement de mon âge, passent dans les familles de mon village, offrent la possibilité de rencontres.
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Quel motif j’ai pour un tel rapprochement ? Je suis bien incapable de le dire, peut-être encore une fois le désir d’entrer dans un monde inconnu.
La première année fut celle de la découverte de comportements urbains et surtout de conditions de vie. Difficile pour moi d’imaginer ces véhicules circulant en tous sens, des rues bordées de trottoir et de boutiques, sans un seul arbre. Pire encore, ces quartiers réservés aux « filles de petites vertus », avec pour gagne-pain, l’offre de leur corps. Ces vacancières, s’ennuient dans ce monde rural, considérant que notre comportement est celui d’une ère antérieure. Difficile d’admettre que dans de telles circonstances, je peux connaitre ce rapprochement fatal.
Nos retrouvailles sont systématiques, les vacances estivales. Cette longue année de silence, n’est même pas ponctuée par un échange de correspondance. Comment peut-il en être autrement quand notre idylle doit rester secrète. Nos relations deviennent plus concrètes jusqu’au jour où elles deviennent intimes. Encore l’esprit de découverte qui s’impose. L’ignorance totale sur le sujet nous conduit à l’erreur fatale.
L’absence de correspondance d’une part, la culpabilité d’avoir franchi la ligne de démarcation d’autre part, retardent la date d’information et la manière dont elle est faite. Cet épisode a lourdement chargé mon esprit.
Je suis maintenant informé que, dans quelques mois, je passe du statut d’adolescent sans responsabilités à celui de parent responsable.
J’avais le choix, ne pas reconnaitre ma paternité, où accepter honnêtement ma responsabilité.
Ce que j’ai vécu en tant qu’enfant remonte à la surface, l’hésitation n’effleure pas mon esprit.
Cet enfant à venir ne mérite pas ce que j’ai vécu. Je sais pourtant que cela va chambouler ma vie, qu’importe, mon éducation ne m’autorise pas le manquement à mes obligations. Je dois assurer la cohésion de ma petite famille, trouver un emploi, subvenir à toutes les obligations.
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Ces obligations m’obligent à accepter un emploi sans relations avec mon apprentissage. Toutefois, ma formation générale, complétée par des cours personnels, m’ouvre, par examens ou concours, les portes d’une importante société où je fais carrière.
Je ressens fortement les bienfaits de l’éducation reçue, les premiers succès m’encouragent à poursuivre. Se mêle à cela l’apprentissage du parent et du mari.
J’appréhende déjà la séparation par obligation au service militaire. Nous sommes en période de maintien de l’ordre en ALGERIE. Je ne m’étends pas sur cette période, tant elle m’est difficile à supporter par ce que je ressens dans une telle situation. Je sais que mon absence est pesante pour tous, mais ce qui décuple cette lourdeur, c’est de savoir que j’en suis partiellement responsable. Mon devoir de citoyen est de travailler, et non d’interdire à une population d’accéder à l’autodétermination.
Ainsi se termine mon bavardage. Le bonheur tient à peu de chose, il suffit de savoir se contenter de ce que nous avons.
Bayard.
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