Avec une profonde émotion nous assistons à la commémoration du 70 ième anniversaire du débarquement des troupes alliées. Des images qu’il fallait peut-être remontrer pour que les générations futures puissent comprendre l’horreur de la guerre. Sommes- nous certains d’avoir réussi ? La jeunesse a-t-elle réellement regardé ce déferlement d’images comme un documentaire important de notre histoire mais aussi de celle du monde tout entier. La jeunesse de 20 ans aujourd’hui comment peut-elle prendre conscience de cette horreur, elle que l’on n’a jamais vu les armes à la main parce que le service militaire n’est plus obligatoire. Quand cet abandon de cette obligation a été décrété on ne s’est pas rappelé que de très jeunes ont péri parce qu’ils ne maîtrisaient pas le maniement des armes. Nous ne verrons sûrement plus jamais une telle guerre parce que la technologie actuelle ferait que la guerre à peine commencée serait déjà finie. La retransmission de cette commémoration a de mon point de vue eu l’avantage de montrer ces heureux rescapés affichant avec solennité et humilité le respect pour ceux qui sont morts en répétant que les vrais héros ce n’était point eux mais ceux qui sont restés sur le champ d’honneur. Ce sont là les valeurs qui se forgent quand le destin vous y oblige. Donc le 6 juin 1944, le débarquement des forces alliées venait d’ouvrir une brèche dans la suprématie de l’Allemagne. Pourtant la terrible guerre a redoublé d’atrocités pendant encore une année. Les représailles de l’ennemi sont alors inqualifiables, leur barbarie n’était même pas imaginable à moins d’être drogué et endoctriné. Je n’en citerai aucune tant elles me répugnent. En juin 1944 j’avais un peu plus de quatre ans et vivaient dans les Pyrénées loin des combats qui faisaient rage dans le reste de l’hexagone. A cette époque, j’ignorais ce qu’était le baptême du feu et pourtant c’est ce que j’ai vécu avec mon oncle alors que nous allions chercher refuge dans les hameaux isolés. Mon oncle avait alors 41 ans. Notre maison familiale peuplée d’une huitaine de personne, située sur un petit promontoire était devenue la cible des troupes allemandes. Les balles des armes automatiques crissaient en éraflant le mur de la façade. Mon oncle décida de préparer notre départ et prit un grand sac ou il enfourna plusieurs gros pains. La maison était située à l’orée d’un bois. Nous quittons la maison par une porte dérobée, abandonnant les femmes dans la maison. En courant nous avons gagné le bois qui nous mettait hors de la vue des assaillants. Malgré mon jeune âge je connaissais aussi bien que mon oncle tous les sentiers qui nous mèneraient au hameau. Le trajet n’était pas totalement dans le bois, et la fin du parcours devait se faire à découvert sur une centaine de mètres, par un chemin un peu encaissé. Compte tenu de la distance qui nous séparait des troupes allemande, mon oncle a cru qu’ils ne pouvaient pas nous localiser. Dès lors que le gros sac que mon oncle portait sur son dos a été repéré par ces troupes, une rafale d’arme automatique est venue arracher la terre au-dessus de nos têtes. Le réflexe instantané de mon oncle nous a certainement sauvé la vie. Nous sommes restés cachés pendant un temps qui me parut interminable, puis nous avons parcouru ce découvert en rampant pour atteindre l’autre bois qui nous mettrait à l’abri. Quand nous sommes arrivés à la maison qui devait nous accueillir, à l’entrée de la cour il y avait un clapier, tous les lapins étaient déchiquetés. Pour mes yeux c’était l’horreur parce que ces animaux m’étaient très familiers. La mémoire d’un enfant est un véritable répertoire. Ce jour-là, le 11juin 1944 c’était un dimanche. Vous avez remarqué que tous les reportages des différentes émissions ont sans cesse parlé du 6 juin sans jamais dire de quel jour il s’agissait. Je l’ai retrouvé parce que dans ma tête est gravée celle de ce triste dimanche. Pourquoi triste dimanche parce que ce jour-là, des habitants de mon village ont été fusillés par les troupes allemandes assoiffées de vengeance. Des témoins qui revenaient de la messe venaient de nous informer. L’émotion était insupportable au point que je vis les yeux de mon oncle s’embuer de larmes. Aujourd’hui, j’ai fini par relater ce fait parce que ces hommes et ces femmes qui furent fusillés personne n’en parle et pourtant il y avait parmi eux des résistants qui travaillaient dans l’ombre. Mon oncle avec un de ses amis parcourait la campagne la nuit pour qu’au petit matin les habitants du village puissent trouver un peu de viande à manger. Ce n’était pas du marché clandestin mais le tribut de tous.